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Laghla Bouzid, La femme et la préservation des jeux traditionnels

Laghla Bouzid, La femme et la préservation des jeux traditionnels

La femme et la préservation des jeux traditionnels dans la région d’Oued Noun (Sud du Maroc)
Dr. Bouzid Laghla

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Sommaire
Les jeux traditionnels sont actuellement menacés de disparition. Il est donc extrêmement urgent de sauvegarder ce patrimoine immatériel en encourageant toutes sortes d'initiatives utiles.
le présent article ambitionne de clarifier le rôle des femmes dans la préservation des pratiques ludiques, notamment les jeux traditionnels dans la région de Guelmim-Oued noun (sud du Maroc).
Dans ce cadre, nous pourrons formuler la problématique de l’étude ainsi: Comment les femmes de Oued Noun ont-elles contribué à la sauvegarde et à la préservation des jeux traditionnels?

Abstract
Traditional games are currently threatened with extinction. It is therefore extremely urgent to preserve this intangible heritage by encouraging all kinds of useful initiatives.
The present article attempts to clarify the role of women in the preservation of intangible practices, including traditional games in the region of Guelmim-Oued Noun (Southern Morocco).
In this context, we can formulate the issue of the study as follows:
How did the women of Oued Noun contribute to the preservation of traditional games?

Les jeux traditionnels sont exposés aux menaces de disparition sous la pression du changement socioculturel qui pèse lourdement sur la société traditionnelle au Maroc Saharien.
Les jeux traditionnels favorisent la rencontre avec autrui, préconisent le « vivre ensemble », alors que le rythme de la vie quotidienne entrave ce « bien-être relationnel », les familles, de nos jours, deviennent nucléaires, et connaissent le repli sur soi. Les demeures, elles aussi, sont devenues moins spacieuses par rapport au passé, ce qui les rend dépourvues des espaces propices à pratiquer les loisirs y compris le jeu traditionnel. On a remarqué que les salles d’hôte servent d’espaces de jeu pour Sig, Dama et Domino dans le milieu urbain.

1. La femme du sud marocain et la transmission de la culture ludique

Les berceuses sont les premiers chants qui touchent l’oreille de l’enfant. Elles le bercent comme le dit bien leur nom dans une atmosphère rêveuse qui frise le sommeil, le tranquillisent et mettent fin à ses pleurs, à ses cris, à ses plaintes, elles se constituent aussi comme un premier contact avec le monde du jeu, contact qui s’accentue avec les ans et traverse toute sa petite enfance.
Les berceuses n’ont pas seulement un effet soporifique, elles sont surtout un moyen efficace de transmission d’idées et de valeurs. Voyons, à titre d’exemple comment la mère transmet à son enfant l’idée de propriété à travers ce refrain, apaisant du reste de par sa cadence:
Bâîllûl Bâîllûl nbâlbâl lak //// û llî f Sâḥl kâml lâk
(tout ce qui est à l’ouest est à toi)
Ce n’est pas un hasard que le Sahl (l’ouest, le littoral)) soit mentionné ici, il est un lieu de fertilité, de richesses infinies dans l’imaginaire collectif local, alors que l’Est est plutôt un lieu de feu, de guerre, de sécheresse : Sâḥl Bâyt mâl, Chârg bâyt nâr (L’Ouest est la maison de sous, l’Est de feu).
Les berceuses sont toujours inhérentes aux jeux. Dans un jeu qui s’appelle Frâysâ (diminutif de cheval), l’enfant monte sur le dos de sa mère, ou de son père, qui imite le galop du cheval en balbutiant: Dâg Dâg Dâg Dâg /// Yâ‘mâl wldî mâ yndâg (que mon enfant ne soit jamais brisé, vaincu) !
Ce type de jeu, aussi simple soit-il, reflète l’importance que revêt le cheval (Agmmar en Amazigh) dans la vie quotidienne du nomade, non seulement comme monture, mais aussi comme compagnon de guerre dans les fameuses razzias. Les chevauchées à connotation guerrière se sont depuis belle lurette transformées en jeu, en spectacle folklorique, la fantasia réservée strictement aux hommes, puisque l’on ne trouve pas de femmes amazones dans tout l’Oued Noun.
Toutefois, les filles ont des jeux propres à elles, qui reprennent au petit pied, pour aller vite, la vie conjugale en simulant des noces sur lesquelles Roussie, entre autres , a mené une étude de terrain (dans le douar Ouaraben).
Les poupées sont une belle illustration de la diversité culturelle marocaine, côté vêtements, maquillage, bijouterie, malehfa, drap des femmes sahraouies porté aussi par les Mauritaniennes. La tamelhfet chleuh comme le rappelle bien M. Khayr-Eddine étant un drap de couleur noire et rouge.

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Dans le patrimoine populaire d’Oued Noun, l’on trouve nombreuses formes de jeu avec l’enfant visant l’acquisition de certains savoir-faire, certaine sensibilité, et le développement d’un certain dynamisme. L’exemple le plus significatif à ce sujet est le jeu de poupée que les femmes artisanes ne cessent jusqu’au jour d’aujourd’hui de perfectionner à partir d’os qu’elles couvrent de lambeaux de tissu d’indigo.
La femme pratique le jeu de plumes de roseau (sigue), qui semble être une variation de jeu de parchisi indien, avec les hommes (surtout ses proches parents). Ce genre de jeu intellectuel l’aide à améliorer ses compétences cognitives, ses capacités d’observer, d’analyser, de résoudre des problèmes.
Ce jeu identifié et enregistré récemment sur la liste nationale du patrimoine culturel immatériel, reflète la richesse de la culture Hassanie en matière d’expressions orales (poésie, chants, locutions figées.), de savoir-faire, de croyances, et de valeurs transmises de génération en génération.
La transmission de ce jeu de génération en génération est assurée grâce à l’initiation des enfants au jeu. Ces derniers passent par une période d’observation des pratiques afin de se familiariser avec les opérations de calcul qu’exige le jeu (notamment l’addition et la soustraction), avant d’y prendre part de manière graduelle.
Les jouets sont souvent construits d’une matière naturelle. L’enfant construit sa maisonnette de sable, confectionne la boule du jeu Kbaiba à partir des morceaux de vêtements usés. L’adulte, lui aussi, prépare et collecte les instruments du jeu Sig ou Krour (jeu de logettes, variété locale de Mancala) à partir des produits disponibles dans son environnement (roseaux, crottes, petits cailloux, noyaux).

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En plus de sa facette écologique qui se voit dans la nature du matériel du jeu mentionnée, la durabilité du jeu traditionnel est largement assurée par son ancrage culturel dans la communauté locale . Au cours du changement du mode de vie allant de la tente à la ville, les instruments du jeu ont connu une mutation. Pourtant, ils ont gardé leur attachement à la nature.
En parallèle avec la régression de l’usage des jouets traditionnels dans la vie contemporaine, la femme artisane tente à garder cette mémoire collective en fabriquant et recyclant en quelques sortes certains matériaux précis.
L’intelligence des artisanses (sānnāʿou mʿālmīne) préconise la production et la créativité. Mme AL Ghalia (femme artisane à Guelmime) reconnaît qu’il lui suffit de scruter un quelconque objet pour en produire une parfaite imitation. C’est pour cela, ajouta-t-elle, que «la fabrication de l’instrument Lbrā en bois a été mise en œuvre sans difficulté. On confie au menuisier le design, tout en s’inspirant du modèle naturel basé sur le sable, les crottes ou les cailloux, et quand il nous livre le squelette, nous tenons à le couvrir en cuir tanné et à l’orner».

2. De la transmission des pratiques à la transmission des valeurs

Suivant la répartition classique des tâches entre l’homme et la femme, celle-ci s’occupe d’ordinaire de l’éducation des enfants, en les gratifiant par exemple d’histoires qu’elle veille à lire pour eux à haute voix, pour attirer leur attention ou exercer sur eux un certain degré de fascination. Dans ce sens, les femmes jouent le rôle de passeuses de culture et se chargent de générer le «désir» de se cultiver chez l’enfant. La question qui se pose ici est la suivante : ce passage est-il mécanique et global ? La réponse est non: «Le passage d’une génération à la suivante porte la trace de toutes sortes de mutations (économiques, sociales, technologiques…) qui sont autant de «filtres» entre ce qui est transmis et ce qui est hérité, et qui transforment les objets, leurs significations culturelles, et leurs usages, au fil des générations.»
Le passage des valeurs a pendant longtemps préoccupé les grands pédagogues, au point que certains d’entre eux ont mis en exergue la nécessité de la valorisation de la transmission de la tradition , qui véhicule pas mal de valeurs dont les nouvelles générations ont grand besoin que ce soit à la maison ou à l’école. La transmission de culture, en fait, peut se faire via divers moyens surtout avec la révolution numérique qui ne cesse de grandir et de se propager.
Il est vrai que la famille garde toujours son rôle dans l’éducation et la transmission des valeurs à travers les jeux traditionnels, dont on a tendance à minimiser l’importance dans le centre urbain (Guelmim), prétextant que cela fait partie d’une époque révolue, alors que les enfants peuvent facilement disposer d’un éventail de jeux numériques, jeux vidéo qui leur parlent plus et les fascinent davantage.
Il semble que le domaine des jeux, du sport en général, du sport traditionnel en particulier, se constitue comme une pierre de touche pour la question de l’égalité des sexes, étant donné qu’on est passé de parler de l’incapacité de la femme à assurer certaines professions et certains postes d’ordre politique à leur inaptitude pour certains jeux comme le rugby , la lutte, etc. Certes, véhiculer la valeur d’égalité à travers les jeux traditionnels dans la région, requiert beaucoup de courage et de ferme volonté, car l’éradication d’habitudes ancrées est tout sauf facile, comme le dit bien le cadi El-Hadrami: «Se débarrasser d’une mauvaise habitude est difficile, y remédier après enracinement est quasi impossible».

NOTES
Jean-Pierre Rossie, Khalija Jariaa, Boubaker Daoumani, Jeux de faire semblant des enfants de l’Anti-Atlas marocain, Braga, 2018.
Mohammed Khair-Eddine, Légende et vie d’Agounchich, Tarik Edition2015, p4.
D'ailleurs la poupée se nomme tislit en tachelhit et arousaa en arabe, c'est-àdire jeune mariée. Ces filles jouent souvent le jour de l'arrivée du trousseau de la mariée.
Willy LAHAYE, Jean-Pierre POURTOIS, Huguette DESMET, Transmettre. D’une génération à l’autre, Paris, PUF, 2007.
Marcel Gauchet, Marie-Claude Blais et Dominique Ottavi,Transmettre, apprendre ,nouvelle édition "Pluriel", 2013, p17.
DAVISSE (A.) et LOUVEAU (G). — Sports, école, société : la part des femmes. — Joinville-le-Pont : Actio, 1991.

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