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Laghla Bouzid, Les jeux traditionnels dans la région d’Oued Noun: Du culturel à l’éducatif

Laghla Bouzid, Les jeux traditionnels dans la région d’Oued Noun: Du culturel à l’éducatif

Les jeux traditionnels dans la région d’Oued Noun :
Du culturel à l’éducatif

Dr. Laghla Bouzid
Chercheur associé au centre des recherches et d’études sahariennes (Science et civilisation, président de l’association Oum Diyar de patrimoine et des jeux traditionnels) Guelmim –Maroc

Introduction:

Notre travail s’étalera sur deux volets :
• Les Jeux traditionnels dans le Oued Noun et ses alentours : Echos du passé
• Les jeux traditionnels dans la région Guelmim-Oued Noun : outil d’apprentissage (Le cas de Sigue)
Jeux traditionnels dans le Oued-noun et ses alentours : Echos du passé

Le tissu culturel dans la région Guelmim-Oued Noun démontre et justifie d’une manière incontestable l’acculturation entre la culture Amazighe (Berbère) et la culture Hassanie dont les aspects des origines arabes sont souvent faciles à remarquer.
Dans ce contexte, on peut présenter les jeux traditionnels comme uneillustration parlante de cette acculturation. Une connotation berbère est observée dans plusieurs jeux d’enfants au Sahara.On cite à titre d’exemple Arah, Taghounja, etc.
Pour établir une approche certainement solide sur les jeux traditionnels dans la région Oued-Noun, il vaut mieux revenir sur le passé de certains jeux dont les échos s’étendent jusqu’aujourd’hui dans les ressources écrites ; poésie hassanie, proverbes et contes populaires. Il est évident qu’ « "il n'est pas de source écrite dans laquelle le jeu ne puisse trouver la place, mais en même temps cette place est, la plupart du temps ,très réduite" (J-M Mehl, Jeux,Sports et divertissements au moyen âge et à l’âge antique, éditions du CTHS, Paris 1993;p10), comme il est le cas des jeux de cartes au Maroc qui ne parurent que rarement dans les sources de l’histoire marocaine. L’historien Brahim Harakat a attribué la pénétration du jeu de cartes aux familles andalouses au 17ème siècle (Harakat Ibrahim, al- Maġrib abra al-tārīh̲, Dār al-Silmī 1965), mais ses origines remontent, selon autres sources, à la Chine.
Le jeu des cartes appelé Maryass, répandu dans la région Oued-noun entre autres régions sahariennes,semble être une variation locale du jeu de Belote, il est presque réservé aux adultes puisqu’il est plus compliqué que le jeu simple de cartes appelé Ronda qui peut être joué par les enfants sans difficulté.

On ne peut pas deviner la date d’apparition de Maryas dans ces régions sahariennes, mais on sait qu’il existe depuis longtemps d’après les vers de la poésie hassanie qui l’ont mentionné dans divers contextes à savoir l’exemple suivant :

نزلت معاك بلا نزاع.....مرياس و داغيتيني
و غلبتيني يغير كاع....لك ياسر غالبتيني

Dans ce dernier vers, le poète avoue et confesse sa défaite, non seulement au jeu de Maryass avec elle, mais aussi au niveau émotionnel. En effet, la poésie Hassanie a contribué à la sauvegarde et la conservation des jeux traditionnels, soit ceux qui existent jusqu’à maintenant, ou ceux qui ont disparu ou en voie de disparition comme Mdaifina, jeu de la découverte joué jadis dans les compagnes, les villages, sur le sable de la mer Atlantique. Il consiste à cacher ou enterrer des Filils (Agraffes…) que l’adversaire doit découvrir pour gagner.
En outre, les proverbes Hassanis aident à travers la métaphore et la comparaison à lier les jeux à la vie quotidienne et au savoir transmis de génération en génération. Dans ce contexte, on assimile l’inconstance de la vie au jeu de Krour dont les trous se vidaient et se remplissaient selon le déroulement du jeu. Le proverbe Hassani dit : الدهر ألا تسداراكرور(dans la vie, il y a des hauts et des bas).
Les échos du passé s’entendent aussi au cœur des contes hassanis, surtout (Jeu OueldRazga inspiré du fameux conte duquel parle Théodor Monod dans une vidéo sur Youtube, expliquant le mécanisme et les directives du jeu (Ce Jeu est attribué à un savant rusé qui s’appelle OueldRazga (Mauritanie) sans oublier la ruse implicite qui le régit; le jeu consiste à éliminer l’élément infidèle (kafir) et sauver les autres éléments croyants…
Revenons à la dimension culturelle des jeux traditionnels dans la région Oued-Noun. On constate, sur le plan étymologique, que les noms de la plupart des jeux sont issus de différentes sources: Amazighe (On peut citer en addition à Arah, Imaachar le jeu de stratégieDamraw (signifie littéralement De dix) duquel, parmi autres, parle Cheikh Mohammed El Mami dans son chef-Œuvre Kitab al badia (dans le contexte de sa favorisation d’exercer les jeux traditionnels selon la tradition à l’inverse de quelques Fatawa rigides), arabe, française et même espagnole comme c’est le cas de la trompa nommée localement Troumbia. Quelques jeux représentant des rites traditionnels Amazighs s’illustrent et figurent sur les gravures rupestres à savoir Taghounja (Léonard Joleaud, Gravures rupestres et rites de l'eau en Afrique du Nord. [article], Rôle des Bovins, des Ovins et des caprins dans la magie berbère préhistorique et actuelle. Journal des Africanistes Année 1933, 3-1, p. 210).
Taghounja et Amachar faisaient partie d’un travail de terrain réalisé par J-p Rossie dans les villages de l’Anti-Atlas (Région Oued-noun). Dans cette étude accompagnée de nombreuses illustrations, l’auteur a précisé,d’après les témoignages et les données relevées, qu’un « lien existe entre ces manifestations populaires et les anciens rites agraires » (J-p,Rossie, Rêves d’enfants jeux et jouets de l’Anti-Atlas et du Sahara,Gand 2013, p34).
Malgré la diversité des jeux traditionnels dans la région oued-noun,il est difficile de mettre une taxonomie de ces jeux en vertu de l’absence ou plutôt du manque d’inventaire (« L’inventaire s’est limité depuis plusieurs années à une gestion minimale de l’information existante (fiches d’inventaire, photothèque, cartes, etc.). De temps en temps, des missions sont conduites sur le terrain au gré des possibilités, notamment pour répondre à l’invitation de telle ou telle collectivité locale». Ahmed Skounti, Le miroir brisé : essai sur le patrimoine culturel marocain, in Prologue, Revue maghrébine du livre, n° 29-30 ? année 2004 ? p 41); mais on peut, en revanche, classifier ces jeux selon le critère de l’âge ou du sexe du joueur comme dans le livre intitulé Les jeux traditionnels dans la région de Dadess (Brahim Bouamay, Les jeux traditionnels dans la région de Dades, institut royal de la culture amazighe, Rabat, 2015), ou encore selon le critère de motricité en distinguant entre les jeux« .. qui sont soumis à des règles (jeux moteurs), et ceux qui sont dénués de règles (les Quasi jeux)» (Pierre Parlebas, Est-il souhaitable d’introduire les jeux traditionnels dans les programmes scolaires, conférence Arriana, 2017, p3).

D’un point de vue opérationnel, il est plus facile de les distinguer ainsi :
• jeux d’affrontement: loup glacé, lutte…
• jeux de poursuite: petite pelote (Kbaiba , sambo …
• jeux de la découverte: cache-cache, bâtonnet de nuit…
• jeux de faire semblant: poupée, construction de maisonnette de sable…
• jeux intellectuels (d’intelligence): (dama, Krour, sigue…)
Concernant cette dernière catégorie, Rossie a remarqué qu’il «y a (…) des jeux d’adresse intellectuelle basée sur la stratégie. Ces jeux de stratégie, utilisant le plus souvent l’un ou l’autre type de damier, vont du jeu simple des enfants comme ‘trois sur une ligne’ au jeu compliqué des adultes comme le sigue des femmes sahraouies auquel s’initient déjà les grandes filles » (R.p13).
Cette observation nous conduit à souligner l’importance des jeux de stratégie (notamment le Sigue et le Krour) prenant en considération des efforts fournis par les enseignants qui ont accumulé des expériences indéniable axées sur l’introduction de ces jeux traditionnels dans l’apprentissage des mathématiques, sous la direction et le pilotage des chercheurs et des responsables engagés et impliqués au titre du Partenariat tripartite.
Les jeux traditionnels dans la région Guelmim-Oued Noun: outil d’apprentissage (Le Sigue comme exemple)

Dans le cadre du partenariat entre A MRF Guelmime Oued-noun et la faculté des sciences de l’éducation Montréal, plusieurs séminaires ont eu lieu à Guelmime en faveur des enseignants des mathématiques au cycle primaire. Ces séminaires avaient pour but d’aider les enseignants à adapter les jeux traditionnels locaux à l’apprentissage des mathématiques ou inventer des jeux éducatifs adaptés pour atteindre des objectifs pédagogiques, à savoir l’amélioration des compétences mentales et le renfoncement du calcul mental. Le jeu de Sigue était parmi les jeux traditionnels qui répondent aux objectifs de cette démarche, puisqu’il est considéré comme une « action ludique et, avant tout, auto-éducative» (Bellin,l'enfant saharien à travers ses jeux, p. 49) qui « vise non les techniques, mais le développement de l'individu lui-même à la fois dans ce qu'il a d'unique et dans ce qu'il représente d'universel» (Bellin,l'enfant saharien à travers ses jeux, p. 51).

Pour adapter le jeu de Sigue aux conditions pédagogiques, il doit être considéré comme un outil didactique utilisé pour faciliter l’apprentissage et non plus un moyen de divertissement et d’épanouissement, d’où il est indispensable de faire quelques modifications et transformations portant sur les techniques et le déroulement du jeu.

Relver ces mutations, sera surtout possibe grâce au regard jeté sur la méthode et les techniques du jeu de Sigue dans la région de Oued-noun, en tenant en compte la différence entre cette méthode et celle étudiée par Bellin dans son article (Bellin,l'enfant saharien à travers ses jeux).

Comment se joue le sigue ?

Le jeu de sigue est un jeu de stratégie basé sur un ensemble de « fonctions mentales. Les objets, trous dans le sable ou crottes de chameau, n'interviennent qu'en tant qu'accessoires, soutiens de l'imagination : ce que sont au mathématicien les schémas tracés à la craie sur le tableau noir », disait Bellin (Bellin,l'enfant saharien à travers ses jeux, p. 52).
La démarche du jeu consiste à organiser une compétition entre deux équipes. Chaque équipe(soit mono ou duo) possède 8 baguettes (tige de roseau) dont la face colorée s’appelle Karche (le ventre) et la face inverse s’appelle Dhar (ledot). Chaque lance suscite une notation positive ou négative qui doit se représenter sur le sable sous forme de mouvement des pions (crotte ou cailloux ..).

Il est remarquable que le jeu est souvent accompagné par des refrains, des sottises, de l’humour. En cas d’échec, l’adversaire se moque de l’autre en récitant :

يا اللعاك يا مسعود
يا لمدكدك فيه العود

Oh mésirable Masoud…Ton bâtonnet est désormais détruit !
On peut représenter les cas probables des lances faites au cours du jeu dans le tableau suivant:

Obraz1

• On commence le jeu en jouant seulement avec 7 baguettes. Pour se qualifier à obtenir le droit de manipuler les pions (crottes ou bâtonnets), il faut que le joueur atteigne d’abord un Sigue (1 sur 7 Karch ou Dhar), ou bien Bagra (8 dhar) ou bien Faroua (8 karch)
Ensuite, le joueur doit jouer avec 8 baguettes.
• si le joueur a decroché 4 sur 4, il obtient le droit de rejouer à nouveau.
• l’ Obtention de (2 karch sur 6 dhar =Hmar),après avoir 4 sur 4 élimine le gain précédent.
• l’obtention (2 karch sur 6 dhar =Hmar), élimine les points obtenus au titre de Faroua.
Il est à noter qu’on substitue la notation numérique (résultats en chiffres) par des équivalents verbales ( mots venus du champs lexical bestial) comme suit;
Faroua (pièce de cuir) est égale à 4 karch et 4 dhar
Bagra est égale à 8 dhar et 0 karch
Sigue est égale à 7 (dhar ou karch) et 1 (dharou karch )
Hmar (âne) signifie 2 Karch et 6 dhar (c’est l’état d’échec)
2 dhar et 6 karch
3 dhar et 5 karch
Le sigue adapté à l’apprentissage de calcul :

Le passage du culturel à l’éducatif (soit disant la transposition didactique), a obligé les enseignants à réduire les règles du jeu de Sigue pour l’adapter aux objectifs de la leçon.
Dans ce sens, Je remercie infiniment Professeur Najat Charibayga et Professeur Tarik Louali qui ont accepté de partager avec moi des fiches techniques.
Pour enseigner la leçon de Nombres naturels aux élèves de5ème année du primaire, le jeu de sigue a subit beaucoup de modifications menant à faciliter le jeu pour les élèves cadets, et atteindre les objectifs déterminés par l’instituteur dans la fiche pédagogique.
Il est évident que le matériel de jeu éducatif proposé dans la fiche n’a aucun rapport avec les outils utilisés traditionnellement, les règles de jeu aussi ne sont pas les mêmes, pourtant on a préservé le même nombre de baguettes ou pièces de jeu (8 huit), ce qui permet aux élèves de faire les opérations exigés lors du jeu (addition, soustraction…).
La fiche pédagogique délivrée par Najat et Tarik comprend les objectifs et le déroulement du jeu de Sigue comme suit ;

Comment jouer
 Chaque groupe se munit d’une ardoise ou de cartes pour noter les nombres d’opérations effectuées.
 Ce jeu se joue à deux contre deux
 Les jetons de chaque équipe sont déjà placés sur la planche de jeu
 Chaque groupe détermine celui qui commence la partie
 La première équipe déplace un jeton selon le nombre obtenu après avoir lancé les bâtonnets (ex : Si Ali lance les 8 bâtonnets et obtient 5 et son partenaire lance à son tour et obtient 3, ils peuvent choisir l’opération qui leur convient. Selon le résultat obtenu l’équipe déplace le jeton sur une case de la planche de jeu)
 Chaque équipe cherche à placer ses jetons sur les cases principales de l’adversaire
 Chaque fois qu’un joueur réussit à déposer le jeton sur celui de l’adversaire, il le lui retire.
 Le jeu se poursuit de cette façon

Conclusion:
Pour conclure, l’introduction des jeux traditionnels dans le curriculum régional (notamment l’apprentissage des maths) a eu pour but de renforcer les acquis et améliorer les compétences de calcul mental. Pour encourager cette démarche, il est préférable de prendre en compte les recommandations suivantes :
Il est indispensable d’exploiter les jeux dans le domaine de l’éducation et de promouvoir la recherche pédagogique et académique dans ce champ.
C’est le temps d’accorder la priorité à la formation des professeurs par des experts d’ici et d’ailleurs, en vue d’un ancrage de la pédagogie du jeu.
Il va falloir élaborer des guides et des livrets expliquant l’usage des jeux traditionnel dans l’enseignement et de donner une marge de liberté aux enseignants des mathématiques pour choisir les jeux adéquats à la construction de notions mathématiques en encourageant les cadres qui excellent dans ce domaine.

pdfLaghla_Bouzid_Les_jeux_traditionnels_dans_la_rgion_dOued_Noun_Du_culturel__lduc.pdf

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